mercredi 21 juin 2017

BRASSENS


Le bonhomme est satisfait. Il vient de coucher sur la partition une mélodie qui le hantait depuis des semaines. Il la tient, sa chanson… une chouette chanson, nom de nom ! Gaillarde et bien troussée, comme il les aime. De celles qui font danser les jolies demoiselles à Saint-Germain. Ne reste plus qu'à y poser des paroles.

Maintenant, il s'installe dans un vieux fauteuil en cuir craquelé, juste en face de la cheminée où frétille un feu guilleret. Il bourre sa pipe, sa vieille pipe en bois et l'allume à un tison. Un gros siamois paresseux vient se lover à ses pieds. Le musicien se lisse la moustache, le chat aussi. Le chat ronronne, le musicien aussi.

Au départ, il voulait dédier sa chanson à une vieille connaissance, mais il ne trouve pas de rime à Fernande. Il se dit qu'il va décrire les jeunes gens qu'il voit s'embrasser dans les squares. « Les jeunes gens qui s'embrassent dans les parcs publics, parcs publics… ». Il n'est pas satisfait. Il lui revient alors en mémoire l'histoire du gorille exhibé dans un zoo que rigoureusement sa mère lui a défendu de nommer ici. Et l'Auvergnat qui lui tendit la main quand d'autres l'auraient jeté aux chiens, et les sabots d'Hélène qui étaient tout crottés… il faudra bien qu'il leur trouve une place dans son répertoire. Il pourrait également chanter la plage de Sète où il voudrait reposer après sa mort. Tant de sujets qui lui tiennent à cœur.

Pour l'heure, il doit trouver des rimes pertinentes. Mille mots dansent sous son crâne, pas un ne colle à la mélodie. D'habitude, les phrases coulent comme l'eau d'une claire fontaine. Les alexandrins s'alignent sans peine, comme de petits soldats de plomb. Mais à cet endroit de l'histoire, il est sec comme un tabellion en panne d'encre bleue.

Le téléphone sonne. Le chat tend l'oreille, le musicien tend la main pour attraper le combiné.

— Allô ?

Au bout du fil, il reconnait les voix de Jean, Pierre, Paul et compagnie, les vieux amis avec lesquels il a l'habitude de faire la bringue dans un bistrot tenu par un gros dégueulasse.

— Qu'est-ce que tu fais encore chez toi ? On est tous là à t'attendre depuis des heures !

— Je sais, je sais, mais il faut absolument que je finisse ma chanson, répond-il un peu gêné.

— Ah ! Non, Georges… les copains d'abord !

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