mardi 3 juillet 2018

LA BELLE ISABELLE


Isabelle et le maréchal des logis-chef

En été, la belle Isabelle bronzait nue dans la garrigue.

— Brigadier, passez donc les menottes à cette impudente donzelle !

     — À vos ordres, maréchal des logis-chef, mais ne vaudrait-il pas mieux auparavant lui passer un
         vêtement sur les épaules ?

— Sûrement pas, bougre de couillon, ce serait effacer les traces de l'infraction.

     — Devons-nous donc la traîner en tenue d'Ève jusqu'à la gendarmerie ?

— Si fait, tête de coucourde !

     — Ce sera alors la fin de l'enquête ?

— La justice de la République passera.

     — Finie notre traque dans la garrigue ?

— On lui tranchera le cou.

     — Pour avoir seulement dévoilé sa belle anatomie ?

— La justice est la justice.

     — Peuchère, la petite ne fait de mal à personne. Ne pouvons-nous pas la laisser filer ?

— Ma foi, l'idée n'est pas mauvaise et le sous-préfet n'en saura rien.

Dans les buissons, des dizaines de voyeurs approuvèrent la décision.




Isabelle et le sous-préfet

En été, la belle Isabelle bronzait nue dans la garrigue.

Mhhh ! Voilà donc la gourgandine qui met en émoi la région tout entière !

     — C'est exactement ça, monsieur le sous-préfet.

Mhhh ! Dites-moi, maréchal des logis-chef, quelle est alors la sanction requise pour une telle
    infraction ?

     — Le code pénal préconise une peine d'emprisonnement de trois jours, assortie d'une amende
         de 50 nouveaux francs.

Mhhh ! Eh bien, pourquoi ne pas faire appliquer la loi sur-le-champ ?

     — Hélas, monsieur le sous-préfet, toutes les prisons d'ici jusqu'à Tarascon sont déjà remplies
         de voleurs, de braconniers, d'ivrognes et de Parisiens.

Mhhh ! Ma foi, si vous pouvez m'assurer que ce délit ne constitue pas un trouble majeur à l'ordre
    public, je crois que nous pouvons laisser cette demoiselle en liberté surveillée, en espérant que
    l'affaire ne soit jamais portée à la connaissance de monsieur le ministre.

Dans les buissons, des centaines de curieux décidèrent de reconduire le sous-préfet aux prochaines élections.



Isabelle et le ministre

En été, la belle Isabelle bronzait nue dans la garrigue.

Vous devez savoir, monsieur le sous-préfet, que l'affaire fait grand bruit dans tout le pays.

     — Mhhh ! Je n'en doute pas, monsieur le ministre.

Les lois fondamentales de l'État sont bafouées.

     — Mhhh ! Pour sûr, monsieur le ministre !

Les fondements même de la démocratie foulés au pied !

     — Mhhh ! Tant que ça, monsieur le ministre ?

Si fait, ça jase dans les plus hautes sphères du pouvoir... et que fait la maréchaussée ?

     — Mhhh ! Hélas, monsieur le ministre, je ne dispose que d'un valeureux maréchal des logis-chef
         et son adjoint qui sont déjà fort occupés à traquer les malfrats de tous acabits.

Les caisses de l'État sont vides.

     — Mhhh ! Depuis des lustres, monsieur le ministre ! Mais permettez-moi de vous suggérer
         d'observer attentivement ce que l'on peut apercevoir sur la fesse gauche de la demoiselle.

Saperlipopette ! Mais c'est... mais c'est... un grain de beauté... en forme de...

     — Mhhh ! Oui, monsieur le ministre, un grain de beauté en forme de bonnet phrygien !

Mazette ! Nous sommes bien là face à une affaire d'État ! Il faut que toutes les charges retenues
    contre cette demoiselle soient levées séance tenante. Et faites en sorte d'user de la plus grande
    discrétion pour que monsieur le président de la République ne soit pas éclaboussé par le
    scandale.

Dans les buissons, des milliers de badauds entonnèrent discrètement la Marseillaise.




Isabelle et le président de la République

En été, la belle Isabelle bronzait nue dans la garrigue... Mais pas ce jour-là !

Faisant fi du protocole, monsieur le président de la République avait pris la micheline jusqu'à la gare de Gonfaron. Pour l'occasion, il avait troqué son habit d'apparat pour une tenue plus appropriée au climat méditerranéen.

Maintenant, il traversait la garrigue à grandes enjambées pour s'en aller demander la main de la belle Isabelle. Elle trouva monsieur le président de la République plutôt bel homme et fort aimable de surcroît. Elle répondit donc favorablement à sa requête.

Ce jour-là, la belle Isabelle épousait le président de la République.

Désormais, en été, la belle Isabelle bronze nue dans les jardins de l'Élysée.

Dans les buissons...



L'ultime rendez-vous

La garrigue frissonne sous le soleil rosé d'un crépuscule de printemps. Une frêle silhouette est adossée à un olivier maintes fois centenaire.

— Bonsoir la Faucheuse !

     — Bonsoir belle Isabelle !

— Nous avons rendez-vous.

     — Nous avons rendez-vous depuis 83 ans. Tu es même un peu en avance.

— J'ai eu une belle et longue vie.

     — Tu n'as pas de regrets ?

— Aujourd'hui, j'ai réuni mes enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. Nous avons parlé,
    nous avons bu. Nous avons ri, nous avons chanté. Je leur ai dit au revoir. Je les ai embrassés.
    Ils ont compris.

     — C'est bien. Tu es prête, alors ! Est-ce que tu as une dernière volonté ?

— Peuchère ! J'aimerais mourir nue dans la garrigue !