lundi 22 mai 2017

BLANCHE


On se souvient toujours de son premier amour. Le mien portait le joli prénom de Blanche.

On s'est connu en sixième. Le prof principal avait eu la généreuse idée de créer des binômes entre les bons élèves et les cancres… devinez dans quel camp je me situais ! Voilà comment je me suis retrouvé au premier rang, à côté de la plus jolie nana du collège… et sans doute du monde entier. Soyons clairs, je n'étais pas plus idiot que la moyenne… simplement, j'avais des préoccupations plus importantes que de connaitre le carré de l'hypoténuse et l'accord du participe passé avec l'auxiliaire "avoir".

À l'époque, la majeure partie de mes pensées était accaparée par la cabane que je construisais dans un arbre, le long du canal. J'avais entamé les travaux en été et j'y passais matin et soir, sur le chemin de l'école.

Logiquement le projet devait rester secret. C'était compter sans la curiosité de ma voisine de classe (normal : c'était une fille !). Elle s'étonna un jour d'apercevoir un marteau et une scie au fond de mon cartable. Il fallut bien que je lui raconte mes périples extra-scolaires, et je fus étonné de l'enthousiasme qu'elle leur manifesta. Dès lors, Blanche devenait ma complice et par la même ma principale alliée dans cette entreprise pharaonique.

D'un point de vue purement ouvrier, elle ne m'était d'aucun secours — la seule fois qu'elle utilisa la scie, elle faillit se couper un bras ! Par contre, sur le plan logistique, elle se montrait d'une efficacité redoutable. Je n'avais plus besoin d'aller chaparder des palettes pourries chez le ferrailleur du coin, au risque de perdre mes mollets dans la gueule de son chien enragé. Mon assistante zélée me ravitaillait régulièrement en belles lattes bien lisses. J'ai appris, quelques années plus tard, qu'il s'agissait de véritable plancher en chêne massif, initialement destiné à la salle à manger de ses parents.

Chaque jour, à la sortie des cours, nous passions sur le chantier pour scier du bois, planter quelques clous, consolider l'ensemble. Le samedi, nous y consacrions plusieurs heures… elle, écourtant ses cours de danse et moi, ratant inopinément l'entraînement de football. C'est la raison pour laquelle elle n'intégra jamais le Bolchoï, ni moi, l'équipe de France !

Les travaux avançaient si bien que nous nous étions jurés de passer une nuit entière dans notre palais, l'été suivant (en tout bien, tout honneur !). L'été est venu… pas Blanche. Je ne connaitrai la raison de sa désertion qu'à la rentrée suivante : ses parents étaient partis pour l'Outremer, emportant avec eux mon premier amour.

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