jeudi 1 novembre 2018

ET UN… ET DEUX… ET TROIS-ZÉRO


Juillet 1998, je sillonne le Limousin en camping-car avec femme et enfants et lapin. Le 12, en fin de matinée, nous jetons l'ancre à Peyrat-le-Château, sympathique village d'un millier d'âmes. Dans la rue principale, nous passons devant un petit bistrot qui arbore fièrement une affichette "Ce soir, retransmission de la finale de la coupe du monde de football entre la France et le Brésil". Le copilote occasionnel qui, accessoirement, s'avère être mon fils ainé (13 ans), me lance un clin d'œil complice. Hé ! Hey ! Pigé, fiston !

On trouve un chouette endroit pour garer la cabane à roulettes, tout près d'un lac avec des canards. On déballe le pique-nique et on s'étale sur l'herbe. Le soleil brille, les oiseaux chantent... les grenouilles aussi. Les enfants barbotent... les grenouilles aussi.

Vers 19h00, les négociations commencent :

— Ma chérie, je crois que les enfants ont très envie de voir le match ce soir !
— Oh, oui, m'man, on zzz'avons très zzz'envie de voir le matsss ce soir !
     Ça, c'est le plus petit (11 ans).
— Mais, les enfants, vous savez bien que nous n'avons pas la télé dans le camping-car.
— Maman a raison, les enfants, nous ne pourrons pas voir le match ce soir. Oh la la ! Comme c'est
     triste !
— À moins que papa ne vous amène dans le bistrot devant lequel nous sommes passés ce matin !
— Heum ! De quel bistrot veux-tu parler, ma chérie ?
— Ben, moi zzz'ai pas vu le bissstrot, moi !
— Tu sais bien, mon chéri, le bistrot devant lequel Seb t'a fait un clin d'œil.
— Bôôô, j'ai pas fait d'clin d'œil, moi !
— Mais, il m'a pas fait de clin d'œil !
— Encore faudrait-il que vous ayez un casse-croûte pour partir.
— Ben, moi zzz'veux un casse-croûte au zzzambon, moi !

Opération rondement menée.

À 20h00, tous les mâles de la tribu font route vers le bistrot béni. L'endroit, prévu pour abriter une vingtaine d'individus, en temps normal, doit bien en contenir le triple pour cette soirée de gala. Des tabourets nous parviennent comme par magie. Grenadine pour tous les mâles de la tribu (sauf moi : un demi !). Passant de main en main, au-dessus des têtes, nos consommations arrivent. Toujours au-dessus des têtes, de main en main, mon billet de 50 Francs s'envole vers la caisse. De la même manière, la monnaie fait le chemin inverse.

L'ambiance est bon enfant. Nous sommes grimés aux couleurs de notre équipe. Les pronostics vont bon train. Ça se chicore gentiment.

— On peut pas perdre, on a Zizou, vindiou !
— Ouaih, mais ils ont Ronaldo, tudiou !
— Penses-tu, l'est cuit le Ronaldo ! Vaut mieux se méfier de Bebeto. Qui c'est qui le prend lui ?
     Liza ? Il va le bouffer fastoche !
— Et Leonardo, c'est du mou pour le chat ?
— Thutu est en pleine bourre, il va l'atomiser !
— Y'a aussi Roberto Carlos, il est capable de nous coller une praline des 40 mètres.
— Et qu'est-ce tu crois qu'il a sur ses gants, Barthez : du saindoux ?

21 heures pétantes, l'arbitre lâche les fauves. Onze bleus contre onze jaunes. Je ne vais pas vous refaire le match, toujours est-il que les Français prennent crânement d'assaut le camp brésilien et qu'en bon chef de meute, Zidane crucifie par deux fois le gardien adverse. Deux buts qui font l'effet de deux bombes atomiques dans le bistrot. Ça crie, ça vocifère, ça s'époumone, ça commande de nouvelles tournées !

La mi-temps arrive avec son nouveau ballet de verres et de billets manuellement aéro-transportés. Désormais, l'ambiance parait plus sereine, les langues se délient : « Tu viens d'où, toi ? De Brest ? Boudiou, vous z'avez pas la télé, chez les pingouins ? Huguette, mets donc une tournée aux p'tits Bretons ». Les enfants entament même un "On va gagner, on va gagner !" plein d'optimisme, repris par un chœur dissonant mais jovial.

Pour la seconde mi-temps, les Brésiliens se sont refait une santé et une agressivité toute neuve. Les bleus manquent de se faire écharper dix fois. Dix fois ils résistent. Et quand Manu Petit plante une ultime banderille à la dernière minute du match, ce n'est pas le bistrot qui explose, mais tout Peyrat-le-Château et tout le Limousin et toute la France aussi.

De partout des gens affluent. La rue est prise d'assaut par une foule bigarrée et bruyante. Des pétards éclatent, de nouvelles tournées sont commandées. On chante, on s'embrasse, on se tape dans le dos. D'autres nouvelles tournées sont commandées ! Des rondes sont improvisées mêlant jeunes, vieux, femmes, hommes, de toutes les couleurs, de toutes les conditions.

Ce soir-là, la France était black-blanc-beur... et bleue !

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