mardi 10 septembre 2019

SEPTEMBRE 69


Chaque fois que je me rendais chez ma tante Soaz, la consigne était impérieuse : interdiction absolue de s'approcher de la haie qui séparait son jardin de celui de sa voisine qu'elle qualifiait de "vieille fille naturiste". Dans ma petite tête d'enfant, je m'imaginais alors que cette maigre frontière végétale dissimulait l'antre d'une terrible sorcière aux dents moisies, tout droit débarquée d'un lointain pays appelé la Naturie.

Un dimanche après-midi de septembre 69, poussé par une curiosité malsaine et un goût certain du risque, j'avais enfin osé transgresser cette loi canonique. Et c'est ainsi qu'à l'aube de mes 11 ans, je me retrouvai pour la première fois en face d'une femme toute nue. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'elle n'était pas du tout vieille — en tout cas, moins que tante Soaz — et que je comprenais parfaitement ce qu'elle disait... on parlait donc le français en Naturie ?

« Ponchour, cheune hôôômme ! Foulez-fous un ferre te zitronâââte ? »

Mon Dieu, elle m'avait repéré et maintenant elle me parlait. J'étais déconcerté, éberlué, pétrifié, tétanisé, raide comme un vieux hareng saur. Il me semble avoir émis un improbable « vui ! » qui l'a fait sourire. Elle s'en est donc retournée vers une table de jardin en plastique jaune sur laquelle trônait une collection de bouteilles multicolores. Comme un papillon pris dans les feux d'une voiture, je restai figé par le spectacle de ses fesses bronzées, animées d'un hallucinant mouvement ondulatoire.

Cling ! Clong ! Firent les glaçons jetés dans un verre. Fsssh ! La bouteille de limonade qu'on débouche. Puis, le murmure d'une cascade fraîche.

Quand elle revint, ce fut un véritable feu d'artifice pour les mirettes ! Si le verso de la dame était déjà éminemment troublant, son recto n'en était pas moins envoûtant. Sous un torrent de cheveux translucides, deux énormes seins tout ronds semblaient se mouvoir en totale apesanteur au-dessus d'un ventre lisse comme une plage. Une toison hirsute et tout aussi claire dissimulait à peine le délicat renflement blotti au croisement de ses cuisses. En quoi consistait donc tout cet attirail étrange qui mettait en ébullition le petit tuyau qui me servait habituellement à faire pipi ?

Elle m'a tendu le précieux élixir et je me suis noyé dans ses yeux bleu pastel... je crois que mon cœur s'est embrasé. J'ai bredouillé un « Merci, madame » qui sonnait plus comme "Help !" que comme "Rocket Man".

« Ahrrr ! Nein, matâââme ! Che m'abbelle Olga et che fiens de la Allemâââgne ! »

La preuve était donc faite que tante Soaz avait tort sur toute la ligne : non seulement ce n'était pas une vieille fille, mais en plus elle était Allemande et non pas Naturiste  !

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