
Putain de bordel de merde ! Ça fait super chier ! Tu te
crèves le cul à pondre des chouettes chansons, et tout le monde s'en
fout !
Jean, Paul, Georges et Richard sont amis depuis plus de 50 ans. En 1966, ils avaient formé un groupe de rock : The Bottles.
En 1967, ils étaient tous réunis au studio d'enregistrement pour mettre
en boîte leur premier disque. Ils avaient bossé comme des malades afin
d'obtenir le précieux sésame qui allait peut-être bouleverser leur vie.
Pour la face A, Paul et Jean avaient coécrit Des champs de fraises pour
toujours, une jolie chanson un peu surréaliste et onirique. Pour la
face B, Georges s'était débrouillé tout seul pour pondre Pendant que ma
guitare pleure doucement. Deux chouettes chansons qui allaient
embraser les hits-parades du monde entier, ils en étaient sûrs.
Le disque s'était plutôt bien écoulé : 17 exemplaires, le premier jour,
rien que sur Cherbourg. Une cinquantaine d'autres sur la région
parisienne. Quelques autres centaines, les semaines suivantes, en France
et en Belgique. Puis, plus rien. Aucune radio n'avait daigné le
diffuser. Seul un entrefilet en dernière page d'Ouest-France avait
évoqué l'événement. Les maisons de disques étaient restées muettes, les
producteurs aux abonnés absents.
Les Bottles ont fini par ranger leurs instruments mais, plus d'un
demi-siècle plus tard, ils continuent de se retrouver autour d'un verre
pour évoquer ce qui fut la plus belle mais aussi la plus douloureuse
période de leur existence. Et quand la patronne du café qui les
accueille voit une larme glisser sur leur joue, elle imagine que c'est
le travail à la fonderie qui leur a abimé les yeux.