- Alors, c'est toi le petit merdeux qui veut écrire un bouquin sur ma carrière ?
- Et oui, monsieur Kichards, déjà mon père était un fan absolu des Jumping Stones. Il m'a traîné à des dizaines de concerts. J'ai grandi au pied d'un électrophone qui jouait votre musique à longueur de journée. Pas étonnant que j'ai chopé le virus ! J'ai toute votre discographie en vinyles, en CD, en MP3, en FLAC, en OGG, en WAV et même en cassettes. Je connais toutes vos chansons par cœur. J'ai des t-shirts, des pin's, des posters, des mugs...
- Wow ! Wowww ! T'énerve pas, gamin, tu penses intéresser qui avec ce genre de salades ?
- Vous rigolez, monsieur Kichards ? Vous êtes le leader du plus grand groupe rock de tous les temps ! Ça va forcément intéresser des millions de fans.
- Sans compter qu'au passage tu vas te ramasser un beau paquet de biffetons !
- Ah ! Ça non, monsieur Kichards, je suis prêt à vous laisser tous les bénéfices si vous le souhaitez.
- J'déconne, petit ! Au moins ça prouve que tu as du caractère et que ta démarche n'est pas que financière... et surtout que tu n'es pas un baltringue comme tous ceux qui m'ont déjà contacté.
- Merci, monsieur Kichards. Je vous promets, vous n'aurez pas à vous plaindre de mon travail. J'y mettrai tout mon cœur et toute mon énergie.
- Bon, j'accepte à trois conditions, et ce n'est pas négociable. La première, c'est que tu arrêtes de me coller du "monsieur" à toutes les sauces. Mon prénom, tu le connais, c'est Mick.
- Ok, m'sieur... pardon : Mick !
- Voilà, c'est mieux comme ça ! La deuxième : je t'accorde un mois — 30 jours, pas un de moins, pas un de plus — pour me presser le citron à ta guise.
- Bingo ! Avec toutes les notes que j'ai déjà de côté, ça sera suffisant pour rédiger quelque chose qui tienne vraiment bien la route.
- Enfin, à l'issue de cette période, tu me serviras de chauffeur pendant toute une journée.
- Hé ! Hé ! S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir, je dis oui aussi ! Et maintenant que tout est réglé, comment on fait ? On contacte un avocat ? On rédige un contrat ?
- On se serre la pogne et on boit un coup !
- Marché conclu... euh, Mick !
- Alors on attaque direct : tout commence en 1962...
⭕ ⭕ ⭕
- ... et c'est comme ça qu'en 2017 on a mis un terme à notre carrière, après un ultime concert à Hyde Park. Point final, tu peux arrêter ton magnéto, j'en dirai pas plus.
- Hein ? Quoi ? Mais c'est pas possible que ça s'arrête comme ça, aussi brutalement ! Et puis vous me devez encore une journée, monsieur Mick !
- Hey, Toto ! J'suis pas un marchand de tapis ! Je t'ai promis 30 jours de confesse, tu les auras. Et comme c'est aussi prévu dans le contrat, on va faire un petit tour dans ta Kangoo. Donc demain, rencart à 6 heures du mat. Et pas la peine de trimballer ton dictaphone... on se fait juste une balade entre potes, les yeux dans les yeux et je te promets un dernier chapitre palpitant.
⭕ ⭕ ⭕
- Je comprends pas, Mick : 400 bornes juste pour bouffer une pizza au bord du lac Léman... c'est encore un caprice de star, non ?...
- Ha ! Ha ! Qu'est-ce qui te gêne le plus dans cette affaire : le lac ou la pizza ?
- C'est surtout que vous n'avez pas lâché un seul mot pendant tout le trajet.
- J'ai profité du paysage, petit gars, j'ai profité de ce putain de paysage ! Alors termine ta calzone avant que le rideau ne se lève sur le dernier acte de cette comédie. Depuis qu'on se connait, je t'ai tout déballé de ma chienne de vie. Je t'ai raconté l'alcool, la drogue, le sexe, les tournées interminables, les rumeurs, la diffamation, les divorces, la pression des médias, des producteurs, des sponsors. Tu sais, le corps n'oublie jamais rien. Un jour, il t'envoie la facture et c'est maintenant que je passe à la caisse ! J'ai plus un seul boyau en état de marche, je n'arrive même plus à chier tout seul. Mon squelette se fissure de tous les bords, mon sang est quasiment radioactif et mes muscles secs comme du vieux bois. Pour tenir le coup, je suis sous morphine 24 heures sur 24, mais la douleur est souvent trop intense pour être contenue. Les médecins m'accordent entre 6 et 12 mois de torture avant que je ne me désagrège complètement. Mais, comme plus rien ni personne ne me retient plus sur ce fichu caillou, j'ai décidé d'abattre mon unique joker. J'ai rendez-vous cet après-midi dans une clinique de Genève où l'on va m'administrer un barbiturique qui va m'aider à m'endormir paisiblement et définitivement. En attendant, laisse-moi te raconter deux ou trois petites anecdotes que je n'avais jamais révélées jusqu'à présent, comme par exemple ma liaison avec Brigitte Bardot... mais qu'est-ce qui t'arrive, gamin, c'est toi qui es bien silencieux tout d'un coup...
- Je profite du paysage, Mick, je profite de ce putain de paysage !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJe suis dévastée Keith, il est trop tôt pour être mon étoile rouge dans le ciel. Depuis longtemps, tu es là, constant, présent, prenant toutes les facettes de mes délires. Tu sais que je tiens la main, dans ce putain de paysage. Même de l'autre côté, sur l'autre rive de l'Atlantique, tu le sais. Je suis si triste Keith, si triste...
RépondreSupprimerDes pommes et des oranges
RépondreSupprimerIl existe pourtant des pommes et des oranges
Cézanne tenant d’une seule main
toute l’amplitude féconde de la terre
la belle vigueur des fruits
Je ne connais pas tous les fruits par cœur
ni la chaleur bienfaisante des fruits sur un drap blanc
Mais des hôpitaux n’en finissent plus
des usines n’en finissent plus
des files d’attente dans le gel n’en finissent plus
des plages tournées en marécage n’en finissent plus
J’en ai connu qui souffraient à perdre haleine
N’en finissent plus de mourir
en écoutant la voix d’un violon ou d’un corbeau
ou celle des érables en avril
N’en finissent plus d’atteindre des rivières en eux
qui défilent charriant des banquises de lumière
des lambeaux de saisons ils ont tant de rêves
Mais les barrières les antichambres n’en finissent plus
Les tortures les cancers n’en finissent plus
les hommes qui luttent dans les mines
aux souches de leur peuple
que l’on fusille à bout portant en sautillant de fureur
n’en finissent plus
de rêver couleur orange
Des femmes n’en finissent plus de coudre des hommes
et des hommes de se verser à boire
Pourtant malgré les rides multipliées du monde
malgré les exils multipliés
les blessures répétées
dans l’aveuglement des pierres
je piège encore le son des vagues
la paix des oranges
Doucement Cézanne se réclame de la souffrance du sol
de sa construction
et tout l’été dynamique s’en vient m’éveiller
s’en vient doucement éperdument me léguer ses fruits
Marie Uguay, Extrait de Poèmes
Ithaque
RépondreSupprimerQuand tu partiras pour Ithaque,
souhaite que le chemin soit long,
riche en péripéties et en expériences.
Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
ni la colère de Neptune.
Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes,
si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer
que par des émotions sans bassesse.
Tu ne rencontreras ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
ni le farouche Neptune,
si tu ne les portes pas en toi-même,
si ton cœur ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long,
que nombreux soient les matins d'été,
où (avec quelles délices !) tu pénètreras
dans des ports vus pour la première fois.
Fais escale à des comptoirs phéniciens,
et acquiers de belles marchandises :
nacre et corail, ambre et ébène,
et mille sortes d'entêtants parfums.
Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums.
Visite de nombreuses cités égyptiennes,
et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.
Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit.
Ton but final est d'y parvenir,
mais n'écourte pas ton voyage :
mieux vaut qu'il dure de longues années,
et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse,
riche de tout ce que tu as gagné en chemin,
sans attendre qu'Ithaque t'enrichisse.
Ithaque t'a donné le beau voyage :
sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
Elle n'a plus rien d'autre à te donner.
Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t'a pas trompé.
Sage comme tu l'es devenu à la suite de tant d'expériences,
tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.
Constantin Cavafis
(Traduction de Marguerite Yourcenar)
Trop tard pour découvrir cet autre espace ... "Il pleut sur Nantes"... C'est douloureux.
RépondreSupprimerFace cachée, Face couchée, Face à sa face, Face à l'inconnu.
RépondreSupprimerMon facétieux ami des mots et des airs tu apprends à voler dans le ciel assombri plein de gouttes de larmes. Tes amis sont là. Byz
https://www.youtube.com/watch?v=2Y0IaJsBucM
RépondreSupprimerJ'ai ressortie ma belle robe rouge. Que le voyage soit doux.
RépondreSupprimerhttps://cabinetdecuriositesrubytuesday.blogspot.com/2025/05/ballade-pour-keith.html#more