dimanche 18 novembre 2018

ROUGE NOVEMBRE


Il fait froid sur les toits
La pluie fait des claquettes sur le pavé
Quand la bise vocalise sous les marquises
Et les carreaux s'embuent de perles grises

Il fait froid dans les bois
Les ormes déplumés ont grise mine
Dame hulotte grelotte et le ru s'est tu
Peu fier, le paon a plié sa grande roue

Il fait froid du haut en bas
La cigale qui a chanté tout l'été
Se trouve un peu dans la dèche
Mais la fourmi félonne s'en bat l'œil

Il fait froid comme en Alaska
L'aube est sombre, la brune précoce
Râ, le scélérat, a mis les bouts
Qui sait quand on le reverra

Il fait froid jusqu'au bout des draps
Restons sous la couette, mon amie
Et laisse-moi lire entre tes lignes
Laisse-moi être ton Champollion

lundi 12 novembre 2018

DJIBOUTI


                                        Je garde le souvenir ému
                                          D'un corps d'ébène que j'ai tenu
                                            Trop vite aimé à la lisière d'un lit
                                              Dans un hôtel de Djibouti

                                                  Nimbée d'un parfum délicat
                                                    Elle s'appelait Samara
                                                      Le reflet de sa peau noire
                                                        Est ancré dans ma mémoire

                                                            Je nageais dans l'abîme de ses yeux
                                                              Plongeais dans l'ombre de ses cheveux
                                                                Elle s'amusait de la pâleur des miens
                                                                  Et rêvait à des pays lointains

                                                                      Elle nouait ses doigts autour de mes mains
                                                                        Caressait mon ventre de ses reins
                                                                          De son rire de gamine
                                                                            Naissaient des perles cristallines

                                                                                Je me souviens ses baisers brûlants
                                                                                  Ses lèvres sanguines buvant
                                                                                    À mon front les traits de sueur
                                                                                      Nés de ces moments de torpeur

                                                                                          Sous le drap froissé, un billet crasseux
                                                                                            Sera à tout jamais mon unique adieu
                                                                                              À cette fille de la corne de l'Afrique
                                                                                                Mon doux rêve impudique

mercredi 7 novembre 2018

HELLFEST


Comment survivre en milieu hostile ?

Si par le plus grand des hasards, tu es pris dans un troupeau de métalleux en goguette, pas de panique ! Sous des airs féroces, ils n'en sont pas moins fort sociables, si tu parviens à comprendre leur mode de fonctionnement.

Tout d'abord, ne refuse jamais une bière offerte par un métalleux, même si elle est tiède et de mauvaise qualité. Ne t'offusques pas s'il t'envoie un rot tonitruant dans les naseaux : c'est tout simplement sa manière à lui de dire qu'il a grandement apprécié de partager ce moment avec toi. 

Si au cours de la conversation il emploie le terme motherfucker, sache qu'il n'a néanmoins aucunement l'intention d'avoir un rapport sexuel avec ta maman. Ne te sens pas agressé s'il te colle de grandes claques dans le dos, il s'agit en fait d'un signe d'amitié sincère et durable.

Après avoir ingurgité l'équivalent d'une baignoire de Kro, ne demande pas bêtement où se trouvent les ouatère clozettes. Fais comme tout le monde : pisse contre un mur. Pour vomir, le caniveau est plus approprié. À la fin d'un concert de Slayer, utilise l'expression « Putain, ça déchire ! », plutôt que « Cooooooool ! ».

Le métalleux ne manque pas d'humour. S'il t'invite à tirer sur son doigt, fais-le sans rechigner et après qu'il eut émis une flatulence tonitruante, n'hésite pas à déclarer « Putain, tu schlingues, mon salaud ! ». Il te sera extrêmement reconnaissant d'avoir savouré sa plaisanterie et t'offrira une nouvelle bière en te bourrant les côtes de claques amicales.

Te voilà maintenant paré à te fondre dans le petit monde merveilleux du heavy metal. Ah ! Dernière recommandation avant de te laisser partir : afin de préserver ton intégrité anale, laisse tomber le polo Lacoste et les mocassins à glands !

samedi 3 novembre 2018

OCTOBRE VIDE


              Où portent mes yeux brûlants d'acide
                C'est encore les mêmes espaces nus
                  Tout me ramène à toi inexorablement
                    Où se posent mes doigts psychotiques
                      Branches sèches, vides d'émotions
                        Rien ne comble jamais cette absence
                          Emplissant la moindre de mes heures

jeudi 1 novembre 2018

ET UN… ET DEUX… ET TROIS-ZÉRO


Juillet 1998, je sillonne le Limousin en camping-car avec femme et enfants et lapin. Le 12, en fin de matinée, nous jetons l'ancre à Peyrat-le-Château, sympathique village d'un millier d'âmes. Dans la rue principale, nous passons devant un petit bistrot qui arbore fièrement une affichette "Ce soir, retransmission de la finale de la coupe du monde de football entre la France et le Brésil". Le copilote occasionnel qui, accessoirement, s'avère être mon fils ainé (13 ans), me lance un clin d'œil complice. Hé ! Hey ! Pigé, fiston !

On trouve un chouette endroit pour garer la cabane à roulettes, tout près d'un lac avec des canards. On déballe le pique-nique et on s'étale sur l'herbe. Le soleil brille, les oiseaux chantent... les grenouilles aussi. Les enfants barbotent... les grenouilles aussi.

Vers 19h00, les négociations commencent :

— Ma chérie, je crois que les enfants ont très envie de voir le match ce soir !
— Oh, oui, m'man, on zzz'avons très zzz'envie de voir le matsss ce soir !
     Ça, c'est le plus petit (11 ans).
— Mais, les enfants, vous savez bien que nous n'avons pas la télé dans le camping-car.
— Maman a raison, les enfants, nous ne pourrons pas voir le match ce soir. Oh la la ! Comme c'est
     triste !
— À moins que papa ne vous amène dans le bistrot devant lequel nous sommes passés ce matin !
— Heum ! De quel bistrot veux-tu parler, ma chérie ?
— Ben, moi zzz'ai pas vu le bissstrot, moi !
— Tu sais bien, mon chéri, le bistrot devant lequel Seb t'a fait un clin d'œil.
— Bôôô, j'ai pas fait d'clin d'œil, moi !
— Mais, il m'a pas fait de clin d'œil !
— Encore faudrait-il que vous ayez un casse-croûte pour partir.
— Ben, moi zzz'veux un casse-croûte au zzzambon, moi !

Opération rondement menée.

À 20h00, tous les mâles de la tribu font route vers le bistrot béni. L'endroit, prévu pour abriter une vingtaine d'individus, en temps normal, doit bien en contenir le triple pour cette soirée de gala. Des tabourets nous parviennent comme par magie. Grenadine pour tous les mâles de la tribu (sauf moi : un demi !). Passant de main en main, au-dessus des têtes, nos consommations arrivent. Toujours au-dessus des têtes, de main en main, mon billet de 50 Francs s'envole vers la caisse. De la même manière, la monnaie fait le chemin inverse.

L'ambiance est bon enfant. Nous sommes grimés aux couleurs de notre équipe. Les pronostics vont bon train. Ça se chicore gentiment.

— On peut pas perdre, on a Zizou, vindiou !
— Ouaih, mais ils ont Ronaldo, tudiou !
— Penses-tu, l'est cuit le Ronaldo ! Vaut mieux se méfier de Bebeto. Qui c'est qui le prend lui ?
     Liza ? Il va le bouffer fastoche !
— Et Leonardo, c'est du mou pour le chat ?
— Thutu est en pleine bourre, il va l'atomiser !
— Y'a aussi Roberto Carlos, il est capable de nous coller une praline des 40 mètres.
— Et qu'est-ce tu crois qu'il a sur ses gants, Barthez : du saindoux ?

21 heures pétantes, l'arbitre lâche les fauves. Onze bleus contre onze jaunes. Je ne vais pas vous refaire le match, toujours est-il que les Français prennent crânement d'assaut le camp brésilien et qu'en bon chef de meute, Zidane crucifie par deux fois le gardien adverse. Deux buts qui font l'effet de deux bombes atomiques dans le bistrot. Ça crie, ça vocifère, ça s'époumone, ça commande de nouvelles tournées !

La mi-temps arrive avec son nouveau ballet de verres et de billets manuellement aéro-transportés. Désormais, l'ambiance parait plus sereine, les langues se délient : « Tu viens d'où, toi ? De Brest ? Boudiou, vous z'avez pas la télé, chez les pingouins ? Huguette, mets donc une tournée aux p'tits Bretons ». Les enfants entament même un "On va gagner, on va gagner !" plein d'optimisme, repris par un chœur dissonant mais jovial.

Pour la seconde mi-temps, les Brésiliens se sont refait une santé et une agressivité toute neuve. Les bleus manquent de se faire écharper dix fois. Dix fois ils résistent. Et quand Manu Petit plante une ultime banderille à la dernière minute du match, ce n'est pas le bistrot qui explose, mais tout Peyrat-le-Château et tout le Limousin et toute la France aussi.

De partout des gens affluent. La rue est prise d'assaut par une foule bigarrée et bruyante. Des pétards éclatent, de nouvelles tournées sont commandées. On chante, on s'embrasse, on se tape dans le dos. D'autres nouvelles tournées sont commandées ! Des rondes sont improvisées mêlant jeunes, vieux, femmes, hommes, de toutes les couleurs, de toutes les conditions.

Ce soir-là, la France était black-blanc-beur... et bleue !